Sélectionner une page

On est parfois confronté dans la vie d’un lecteur à des auteurs avec lesquels la rencontre n’a pas lieu. On lit un ouvrage puis on s’interrompt, on en lit un autre qui nous tombe des mains … Et on se dit alors qu’on ne les apprécie pas, que “ça ne passe pas”.

J’ai longtemps connu ça avec un certain Voltaire et son célèbre Candide. Cet ouvrage, d’une richesse rare, m’a très longtemps semblé naïf, puéril ; cette histoire de voyage improbable m’a très longtemps laissée de marbre. J’ai entrepris la lecture de Micromégas, de L’ingénu sans plus de plaisir et avec un réel sentiment de culpabilité ; quand on est professeur de lettres, il y a certains auteurs qu’il nous est défendu de laisser de côté. 

Et puis un jour il a fallu que j’enseigne Voltaire à deux classes de seconde. N’ayant pas connu de véritable concomitance avec les ouvrages sus-cités, j’entrepris la lecture et l’étude de La princesse de Babylone avec mes classes. J’ai alors pleinement apprécié l’oeuvre de Voltaire à me plonger dedans presque au sens propre du terme ; avec un crayon à la main et un véritable objectif d’analyse littéraire, de préparation de cours. Aussi, les interactions avec les élèves, leurs échanges, leurs débats, leurs critiques m’ont foncièrement passionnée, m’ont permis de porter un autre regard sur l’ouvrage et son auteur. (Oui, je fais un métier génial …)

J’ai alors découvert une oeuvre riche, pleine de procédés stylistiques qui servent un texte profondément engagé. Certes les personnages me semblent toujours naïfs, crédules, invraisemblables – ce qui a encore le don de m’agacer – mais c’est justement là ce qui caractérise l’oeuvre de cet auteur, c’est qu’elle constitue un véritable éloge de l’éducation comme émancipatrice de l’indépendance intellectuelle et de la liberté de penser.

Forte de cette rencontre, j’attendis – comme depuis bientôt trois ans – la publication du programme de l’agrégation interne et c’est avec une certaine crainte que je remarquai que les premières rumeurs semblaient justement vouloir proposer Voltaire. Mon aversion pour cet auteur était telle que je m’étais toujours dit de ne pouvoir me présenter au concours l’année où celui-ci serait au programme.

Les rumeurs se confirmèrent. 

 

 

J’ai alors relu Candide pour cinquième fois, avec, je pense, un autre état d’esprit, celui de l’analyse, celui de l’étude. Quelle ne fut pas ma surprise ! Au fil des pages et des notes, je me mis à faire la reconnaissance d’un ouvrage engagé, intelligent, foncièrement bien écrit et très enrichissant. Il s’agit pour moi d’une réelle réconciliation. 

C’est par ailleurs ce que j’avais vécu il y a quelques années, au tout début de ma carrière, avec Molière que je n’avais pas apprécié en tant qu’élève mais qui m’a beaucoup plu en tant que lectrice-adulte-prof.

Lire un livre, c’est faire une rencontre. Souvent on s’apprécie tout de suite, parfois, il faut davantage de temps, il faut comme un état d’esprit, une disponibilité, juste une attention ou un point de vue et alors tout peut changer. C’est ainsi que je considère souvent la lecture comme une activité de groupe qui s’enrichit de discussions, d’échanges et donc de redécouvertes et finalement de plaisir.

Dans ces moments singuliers, on apprend toujours quelque chose, sur nous, sur l’autre et c’est ce qui rend l’exercice de la lecture à la fois fantastique et tellement essentiel.