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Je me sens complètement abêtie, dégradée, abrutie par les recommencements incessants des lessives, repas, habillages et autres brossages de dents. Je me lasse des gommettes, des dessins de robots, du rythme éreintant des courses de voitures aux bruits de bouche permanents. Trois jours semblent être ma jauge de patience maximum avant de me sentir profondément déprimée par ce rôle de femme au foyer subi et destructeur. 

Subi parce que les vacances sont un piège qui se referme sur l’enseignante que je suis dont le travail en classe s’arrête imposé par le calendrier aux dates implacables : Les Vacances Scolaires.

Cet espace temps où tout le monde travaille – moi aussi, coûte que coûte, entre les lessives, les chamailleries, les confections de gâteau ; j’en donnerais volontiers une part pour deux heures de tranquillité à préparer un cours dans le calme, lire un texte dans le silence, corriger toute une copie sans être interrompue – « sauf moi ».

Alors soudain les questions de mon aîné sur le mouvement du système solaire, le suffrage universel ou le fonctionnement d’une voiture électrique sont des sas pendant lesquels j’existe de nouveau. Je sens avec bonheur mon cerveau fonctionner, la transmission m’anime, le partage m’enflamme, l’utilité de mes explications m’enthousiasme.

Et d’appréhender ce mois d’août où tous les ans, après un mois de juillet salvateur et roboratif, le temps à passer redevient un ennemi d’une lenteur accablante. Regarder l’aiguille de la pendule de la cuisine (la cuisine, toujours) se rire de moi et tourner comme un bourreau et de lancer tout haut dans un souffle de désespoir : « allez ! Plus vite ! A ce soir !! »

Ce mois d’août où la dépression saisonnière guette dans la torpeur estivale, dans ce monde à l’arrêt au rythme paresseux du linge qui sèche inexorablement au soleil. (Le linge, toujours. La lessive, à jamais …)

Ouvrir le lave-vaisselle me donne la nausée, débarrasser et essuyer une table m’accable, préparer un repas sur fond de dispute fraternelle m’assassine. Passer, repasser ce balai, cette éponge, cette main sur un torchon est un supplice, un châtiment, une punition.

Le sport devient alors une alternative fondamentale. Faire du sport. Sortir. Ne plus voir, ne plus subir cette cuisine, cette maison aux corvées permanentes et abrutissantes. Emmener mes garçons jouer au football. Courir. Sauter à la corde. Faire fonctionner mon corps à défaut de faire travailler mon esprit ; y trouver un équilibre fragile ; prendre soin de soi d’une autre manière ; partager des moments de complicité.

Vraiment partager.

Vraiment partagés.

Le sport est un échange – on ne joue pas au football tout(e) seul(e) – et ça me plait. 

Cette sollicitation permanente – qui par réflexe me fait réclamer le silence à des adultes qui ne m’adressent même pas la parole – a un effet profondément pervers. Cette tranquillité, cette disponibilité d’esprit propice au travail intellectuel est synonyme d’ennui. Quand un quart d’heure se passe sans qu’il n’y ait eu d’interruption enfantine dans mes pensées, je me confronte à un vide abyssal duquel je n’explore que le néant. Je contemple la cuisine (toujours elle) ; m’installe quelques minutes avec un magazine et un café et me demande bien ce que je vais pouvoir faire de ces interminables dix minutes que j’ai devant moi … avant que tout recommence … “Maman !?”

Ce rapport au temps est une torture.

Parfois, d’une longueur effroyable, à d’autres moments d’une rapidité insolente, désormais professeur-maman, il m’est plus que jamais et à chaque instant compté.