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L’année 2019 marquera définitivement ma réconciliation avec Emile Zola. Après La bête humaine que j’ai dévoré comme un polar, j’ai lu Au bonheur des Dames. Dans ce roman l’auteur nous plonge dans le Paris des grands magasins, dans le commerce de la démesure ; la naissance de ce que nous connaissons aujourd’hui et que nous réprimons à certains égards.

En cela, j’ai trouvé ce roman d’une modernité effrayante. Nous connaissons tous des petits commerces qui ont fermé, qui se sont éteints, qui ont définitivement scellé leur rideau au profit de magasins plus grands, plus beaux, plus alléchants … Nous avons tous déjà vu des centres villes en souffrance, aux façades sombres, aux commerces fermés …
C’est une des questions que soulève le roman. Réussir dans le commerce, oui, mais à quel prix ? Certains passages sont profondément symboliques et poignants ; ces derniers expriment dans la mort et la souffrance des personnages, le trépas de toute une vie commerçante aux côtés de l’immensité et de la réussite provocante de celui qui a l’ambition de s’élever.

Une fois de plus j’ai apprécié l’écriture de Zola et ses éternelles métaphores filées que j’ai – j’avoue – souvent trouvées redondantes mais qui, malgré tout, donnent à voir un texte d’une richesse remarquable.

« Comme les fleuves tirent à eux les eaux errantes d’une vallée, il semblait que le flot des clients, coulant à plein vestibule, buvait les passants de la rue, aspirait la population des quatre coins de Paris. »

Et puis Zola de nous proposer – non sans ironie – un roman résolument féminin. Et cela m’a parfois agacée, irritée, fâchée. Ces femmes, qui, pour la plupart d’entre elles, sont invitées à consommer m’ont exaspérée. Nous assistons dans ce roman à la naissance de ce que l’on appelle aujourd’hui, avec mépris, la ménagère.
La femme, épouse de son mari, mère de ses enfants (s’)entretient son intérieur et consomme pour le faire au mieux. Voir mes semblables (certes à deux siècles d’écart) s’adonner à ce genre de loisir m’a affectée tout simplement parce que nous sommes encore aujourd’hui la cible marketing privilégiée de ces grandes enseignes et ça m’énerve. De nos jours, il convient encore de « séduire la mère par l’enfant » ….

Octave Mouret agrandit son magasin à la gloire de la femme en l’asservissant finalement et en l’incitant à acheter toujours plus : « ces dames ne sont point ici chez moi, elles sont chez elles. » dit-il. Cet homme diablement brillant aux idées profondément géniales m’est apparu de plus en plus humain au fil de la lecture laissant davantage place à ses émotions. Cet homme qui semble répondre et maitriser à la perfection les désirs féminins s’y laisserait bien prendre …

Vous l’aurez compris, Au bonheur des Dames (titre-enseigne qui associe en lui-même le bonheur féminin à la consommation …) soulève des questions profondément contemporaines sur notre rapport au commerce, il s’agit donc, pour moi, d’un texte qui traverse le temps sans que son propos ne vieillisse … malheureusement …